L’organisation de défense de la nature Greenpeace, mène une campagne de protestation contre Shell, en pleine mer du Nord. La compagnie pétrolière anglo-néerlandaise est sommée de payer les dommages et intérêts causés par la production continue de combustibles fossiles, qui exacerbe la crise climatique. Sur les raison et les enjeux africains de cette campagne, Victorine Che Thöner, la porte-parole de Greenpeace en Allemagne, répond aux questions d’Afrik 21.
Pour avoir ciblé Shell pour lancer la campagne ?
Shell est un acteur mondial incontournable dans le domaine des combustibles fossiles. Elle tire des profits énormes de la crise climatique, qui bouleverse et détruit la vie des gens dans le monde entier. Les catastrophes climatiques telles que les incendies, les inondations et les tempêtes déplacent et tuent des personnes à un rythme sans précédent, et ce à cause d’entreprises comme Shell. Depuis 1965, les émissions de carbone de Shell représentent 2,3% des émissions totales de la planète. Et au cours des 50 dernières années environ, Shell a produit dix fois plus de pollution au carbone que les Philippines n’en ont émis depuis le début des relevés ! Shell est connue pour ses violations des droits de l’homme et de l’environnement dans le delta du Niger. Et en ce moment, elle cherche à extraire jusqu’à la dernière goutte du gisement de Penguins et lance également de nouveaux projets dans le monde entier.
Mais nos demandes s’adressent également à l’ensemble de l’industrie des combustibles fossiles, qui s’est construite sur des décennies d’injustice climatique et de colonialisme. Ils doivent tous arrêter de forer et commencer à payer.
Nous voulons que Shell assume la responsabilité de son rôle historique dans le changement climatique paie pour les pertes et les dommages causés au climat arrête son expansion pétrolière et gazière dans le monde s’engage à effectuer une transition équitable vers les énergies renouvelables dans le monde entier. Cesse de présenter la compensation des émissions de carbone comme la solution – au vu des preuves croissantes, la compensation n’est rien d’autre qu’une escroquerie.
La campagne a été lancée à deux jours de la publication par Shell, de son résultat financier 2022 (estimé à 40 milliards de dollars). À combien estimez-vous la somme que Shell pourra débourser pour les dommages et intérêts liés à ses activités?
Shell profite de la destruction du climat et de l’immense souffrance humaine. Alors que Shell compte ses milliards records, les populations du monde entier, y compris en Afrique, comptent les dégâts causés par les sécheresses, les vagues de chaleur et les inondations record que ce géant pétrolier alimente. C’est la triste réalité de l’injustice climatique, et nous devons y mettre fin.
Les dernières négociations sur le climat (COP27) ont débouché sur la création d’un nouveau fonds pour les pertes et dommages auquel les pays historiquement pollueurs devront contribuer. Les modalités de fonctionnement de ce fonds seront décidées plus tard, en 2023. Nous pensons que l’industrie des combustibles fossiles, en particulier des entreprises comme Shell, devrait payer pour les dommages qu’elle a causés par son extraction historique et continue de pétrole et de gaz dans le monde. Une façon de générer des fonds pour le « pot » des pertes et dommages pourrait être d’imposer une taxe sur les dommages climatiques aux entreprises de combustibles fossiles, ce qui aiderait à payer l’énorme quantité de financement climatique qui est nécessaire de la part des pays et des entreprises du Nord global.
Entre temps, la question des pertes et dommages, adoptée lors de la COP27 en Egypte, na pas encore été réglementée. Votre campagne pourrait-elle également être perçue comme une sorte de pression sur la Convention cadre des Nations unies sur le climat?
La mise en place du fonds pour les pertes et dommages a certainement constitué une victoire historique pour la justice climatique. Il est maintenant temps d’obliger les méga-pollueurs historiques comme Shell à y contribuer. S’ils avaient réorienté leurs activités et abandonné les combustibles fossiles plus tôt, nous ne serions pas dans une crise aussi profonde. Il est temps pour eux d’arrêter de forer et de commencer à payer.
Les entreprises de combustibles fossiles et les gouvernements ont tous deux un rôle à jouer à cet égard – et nous demandons également aux gouvernements mondiaux de tenir les entreprises de combustibles fossiles pour responsables. Les gouvernements du monde entier ne parviennent pas à faire payer les pollueurs, sinon la poursuite des forages pétroliers n’aurait pas lieu et des millions de personnes ne subiraient pas la dévastation du climat et la crise énergétique.
Les entreprises comme Shell sont responsables d’une grande partie des dommages causés par les conditions climatiques extrêmes dans le monde, et nous pensons qu’elles devraient être obligées de contribuer au paiement des coûts énormes du changement climatique auxquels doivent faire face certaines des personnes les plus pauvres du monde qui ont le moins contribué au problème.
Sur la question des dommages et intérêts, quel est la vision de Greenpeace en ce qui concerne l’Afrique, le continent le plus vulnérable aux effets du changement climatique ?
La complaisance de certains dirigeants africains et la cupidité des gouvernements et des entreprises étrangères doivent être combattues si l’on veut s’attaquer à la crise du climat et de la nature. Nous devons trouver des moyens de remédier à l’héritage de l’exploitation et de l’extraction coloniale qui est toujours à l’origine de la plupart des investissements dans les combustibles fossiles en Afrique.
L’extractivisme s’inscrit dans le cadre d’un héritage colonial qui a laissé tomber les populations africaines et leur a infligé la pollution, la corruption, les conflits et les inégalités. Les nations africaines doivent établir des partenariats au sein du continent et au-delà. Nous mettons l’accent sur la création de partenariats, plutôt que sur les prêts, les subventions et autres formes d’aide néocoloniale. Les gouvernements étrangers sont encouragés à collaborer avec les gouvernements africains afin de réduire la pêche et l’exploitation forestière illégales, de soutenir directement les communautés locales et indigènes touchées et de favoriser la transition vers des sources d’énergie renouvelables.
Aucun nouveau projet d’exploitation de combustible fossile dans le monde pour atteindre le zéro net d’ici 2050 : Éliminer progressivement le charbon dans tous les pays africains ; résister à la nouvelle vague d’exploitation du pétrole et du gaz africains. Nous devons dépasser tous les combustibles fossiles en investissant dans les énergies renouvelables : évitez les investissements à court terme dans les combustibles fossiles et prenez plutôt de l’avance en investissant dans des solutions d’énergie renouvelable propres et à long terme. Nous devons dire non à de nouvelles exploitations forestières et agricoles industrielles dans les forêts tropicales, en fixant des objectifs de restauration des forêts déjà dégradées.
Enfin, l’Afrique est une partie prenante essentielle pour inverser la tendance de la crise climatique : Avec le dynamisme nécessaire, l’Afrique est idéalement placée pour apporter des contributions significatives en faveur des engagements climatiques mondiaux. Les gouvernements africains peuvent faire preuve de plus de leadership en refusant d’échanger des écosystèmes contre des fonds de donateurs et en préservant leurs forêts au profit des populations et du climat.
L’idée que l’Afrique est en première ligne de la crise climatique est parfois utilisée pour créer l’illusion que l’Afrique doit être sauvée. Le monde n’a pas besoin de sauver l’Afrique face à la crise climatique, le monde a besoin de se sauver lui-même. Il y a des inondations de l’Allemagne au Nigeria, des sécheresses et des ouragans des États-Unis à Madagascar. Nous devons agir sur le climat pour notre survie collective
Propos recueillis par Boris Ngounou