Sa majesté Moussenga
Masono est visiblement en colère contre les chalutiers (bateau de pêche) qui
pêchent impunément dans l’espace marin réservé à la pêche artisanale (de zéro à
6 mille marins, soit près de 11 kilomètres des côtes). « Le problème avec la pêche industrielle, c’est
son incursion dans la zone réservée à la pêche artisanale. Ces gens rasent nos
côtes, détruisent et emporte les filets des riverains. Comme conséquences, les
prises sont devenues rares, les pêcheurs dont les filets ont été détruits ou
emportés par les chalutiers sont en détresse, car ils n’ont plus de quoi
nourrir leurs familles», explique le chef traditionnel de Campo beach, l’un
des foyers de pêche artisanale du Cameroun, situé au sud du pays, à la
frontière avec la Guinée équatoriale.
Dans la localité
frontalière de Campo, la pêche industrielle a un caractère transnational. « Les chalutiers concernés par ces incursions,
sont à la fois camerounais et guinéens. Nous les apercevons parfois même dans Manyange na Elombo (aire marine
protégée). Et quand nous alertons les autorités, il n’y a pas de suite »,
se désole l’autorité traditionnelle qui a pris part à l’atelier de sensibilisation des journalistes sur la pêche
illicite, non déclarée et non réglementée (pêche INN), tenu du 7 au 10 juin
2023 à Kribi, ville côtière, située également au sud du Cameroun.
Les
captures de poissons ont chutées d’environ 100 à 20 kg
À Kribi, la pêche artisanale
est structurée au tour du débarcadère de Mboa Manga. Ouvert en 2006, le centre
accueille près de 200 pirogues au quotidien. Sur place, nous rencontrons Fabrice
Junior Nguelly, qui a présidé l’association des armateurs du débarcadère,
pendant une dizaine d’années. L’opérateur dresse le tableau d’une activité qui
bat de l’aile. « Les poissons sont
en voie de disparition sur nos côtes. Parce que nous sommes passés d’une
capture d’au moins 100 kilogramme tous les deux jours, à seulement 20 kg dans
tous le débarcadère. Cela est dû à la pêche industrielle qui racle nos côtes, y
compris les zones de reproduction de poisson.», s’indigne le pêcheur
artisanal. Et de poursuivre : « c’est
la raison pour laquelle nous vendons le kilogramme de poisson à 5000 francs CFA
(8,28 dollars, Ndlr). Et même à ce prix-là, il est difficile de réaliser des bénéfices
à cause des taxes et autres (immatriculation : 52 000 FCFA par an,
permis de pêche : 5000 FCFA par an, droit de quais, carburant, soit un
minimum de 85 000 FCFC, 141 dollars par tour de pêche, Ndlr) ».
Les intrusions de
chalutiers dans la zone marine de la pêche artisanale débouchent souvent sur
des collusions entre engins de pêche. Mesurant environ six mètres de long
contre un bateau d’environ 28 mètres, les pirogues s’en sortent broyés, si bien
qu’il est arrivé des fois où leurs occupants ont perdu la vie, comme le font
savoir les témoignages recueillis au débarcadère de Mboa Manga.
Les
pêcheurs artisanaux, également coupables de pêche INN
Ça parait paradoxal,
mais c’est une réalité. Les communautés de pêcheurs artisanaux n’en font pas
cas dans le cadre de leur complainte, et pourtant certaines infractions à la
pêche durable, sont visibles dans leur activité. Au débarcadère de Mboa Manga,
dans la ville portuaire de Kribi, nous avons constaté qu’environ 60% des
piroguiers utilisaient des filets mono-filament en nylon (c’est-à-dire en
matière plastique). Cette catégorie de filet est pourtant interdite par la loi
camerounaise du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la
pêche.
Selon la fondation néerlandaise
The Ocean Cleanup, plus des deux tiers des gros déchets plastiques flottant en
mer sont constitués de filets en plastique, perdus ou abandonnés par des
pêcheurs. L'accumulation et la fragmentation progressive de ces types de filet
de pêche dans les eaux ont des conséquences néfastes pour la faune marine, comme
l’ingestion de particules de plastique qui impacte ensuite l’ensemble de la
chaîne alimentaire. Autre problème notable dans la liste des risques liés à ces
filets en plastique, c’est l’engendrement de ce qu’on nomme la « pêche fantôme
», en continuant de piéger des animaux
marins, notamment les tortues de mer.
C’est pourquoi il est
recommandé aux pêcheurs, quel qu’ils soient d’utiliser des filets en coton, ou
autre engin fabriqué en matière biodégradable.
Le maillage des filets
de pêche constitue un autre point d’achoppement entre les pêcheurs artisanaux
et les autorités régulatrices du secteur. Confronté à la rareté des ressources
halieutiques, ces derniers optent pour des filets de petits maillages (avec des
diamètres inférieurs à 50 millimètres), afin de tout balayer les fonds marins,
y compris les alevins, au péril de la survie des espèces et de la biodiversité.
« Nous savons que c’est dangereux
pour la biodiversité, et même pour la disponibilité des ressources. Mais nous
préférons ces maillages pour ne pas rentrer bredouille à la maison après avoir
passé deux nuits en mer. », confesse Fabrice Junior Nguelly, pêcheur à
Kribi.
Des
manques à gagner de l’ordre de 33 millions de dollars par an
L’impact de la pêche
INN va bien au-delà de la destruction de la biodiversité marine et des menaces
à la sécurité alimentaire des communautés côtières. Sur le plan économique, la
pêche INN a un impact non seulement sur le produit intérieur brut (PIB) du pays
mais aussi affecte d’une manière drastique le panier de la ménagère.
Au niveau du PIB, les débarquements
et exportations frauduleux de poisson pêché dans la zone économique exclusive
(ZEE) du Cameroun, contraint le pays aux importations ce qui déséquilibre la
balance commerciale rendant celle-ci déficitaire. Le pays importe une moyenne
annuelle de 300 000 tonnes de poissons. En 2017, le gouvernement du Cameroun a
estimé le coût total de la pêche illégale à 33 millions de dollars par an. Il
faut tout aussi souligner que les débarquements clandestins entrainent des
pertes de devises importantes (non-paiement des taxes d’inspection et
d’exportation).
Au niveau du panier de
la ménagère la pêche INN a pour principal corollaire la hausse des prix des
produits halieutiques sur le marché.
La
flotte de navires de pêche passe de 80 à 37
Après s’être vu infligé
un carton rouge par la Commission
européenne, le Cameroun semble avoir redoublé d’ardeur dans la lutte contre la
pêche INN. Comme mesure conservatoire, le premier ministre, chef du
gouvernement camerounais, a signé en avril 2023, une décision suspendant
jusqu’à nouvel ordre, l’attribution du pavillon camerounais aux navires de
pêche.
À ce jour, le pavillon
camerounais ne compte que 37 navires,
contre 80 il y a trois ans. Chose curieuse, aucun de ces chalutiers battant
pavillon camerounais, n’appartiennent à des nationaux. « Il s’agit pour l’essentiel des navires
appartenant à des opérateurs chinois. Ces derniers utilisent des camerounais en
couverture, pour obtenir le pavillon de notre pays. Cependant, nous n’avons pas
les outils technologiques nécessaires au contrôle de leurs activités en dehors
de nos eaux. Echappant à notre contrôle, ces chalutiers se livrent à la pêche
INN, et ce retombe sur le pays. », explique Guy Otete Bikimi, deuxième
contrôleur national à la brigade de contrôle des activités de pêche, du
ministère camerounais de l’Élevage, des Pêches et des Industries animales
(Minepia).
Pour améliorer le
contrôle des activités de pêche, le Minepia a entre autres expérimenter un
système de suivi satellitaire des navires de pêche (VMS). Il a par la suite
introduit auprès du ministère camerounais des Postes et Télécommunications (Minpostel),
un dossier pour l’obtention d’une fréquence de radio maritime.
Les
dix principes de transparence promue par EJF
La pêche INN étant
endémique dans le Golfe de Guinée, les pays de la région sont aussi confrontés
aux menaces qui lui sont liées, notamment la piraterie et le trafic des armes,
des stupéfiants et des personnes. Au premier trimestre 2021, le golfe de Guinée
a enregistré 43 % de tous les incidents de piraterie de la région africaine,
selon le Bureau international maritime. En 2020, le golfe de Guinée a
enregistré plus de 95 % de tous les enlèvements mondiaux en mer, selon la même
source.
Selon les recherches de
Maurice Beseng de l’université de Sheffield (Royaume-Uni), sur les crimes liés
à la pêche dans la région du golfe de Guinée, en 2020 des vaisseaux artisanaux
et des vaisseaux de pêche ont été interceptés et utilisés au Cameroun pour la
contrebande des combustibles et des armes et pour la traite humaine. « La nature transnationale des pratiques
criminelles de pêche exige la coopération inter-agences, à la fois à
l’intérieur du Cameroun et entre les divers pays. Cette collaboration aidera à
concentrer les ressources pour affronter les acteurs et leurs transactions
illégales. », écrit le docteur Beseng.
Dans la région Afrique
centrale, des acteurs de la société civile tels qu’Environnemental Justice
Fondation (EJF) et African marine mammal conservation organisation (Ammco),
accompagnent les gouvernements dans la promotion des principes de transparence
dans les activités de pêche. « Le
gouvernement camerounais à travers le Minepia, est en train de réviser son
cadre juridique afin de mieux lutter contre la pêche INN. Et nous en tant
qu’organisation non gouvernementale (ONG), en partenariat avec Ammco, nous appuyons
le gouvernement dans ce cadre. Notre appui porte spécifiquement sur les
principes de transparence, tels que l’obligation pour tous les armateurs
d’avoir des outils satellitaires à bord de leurs navires. Ces outils doivent
rester allumés lorsqu’ils sont en mer, afin de signaler toutes leurs activités.»
explique Younoussa Abossouka, responsable Cameroun de la campagne océan d’EJF.
Les principes de
transparence promus par EJF et son partenaire Ammco son dix au total. « Un autre principe consiste à publier la liste des licences de pêche
accordé par un pays. A ce moment, dès qu’un bateau qui ne figure pas sur cette
liste se retrouve en mer, l’on peut estimer qu’il est en train de faire de la
pêche INN », ajoute Younoussa Abossouka.
Dans le cadre de cet
accompagnement, cinq ateliers de révision du cadre juridiques ont été organisés
et au terme de ceux-ci un projet de loi portant code des pêches a été élaboré.
Un fichier du Minepia sur les navires de pêche et d’appui à la pêche a été élaboré
et soumis à l'Organisation des Nations unies pour l’alimentation et
l’agriculture (FAO).
Boris
Ngounou