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La commune côtière de Campo dans le sud du Cameroun est devenue le théâtre d’une querelle sur la déforestation et la pollution environnementale. Certaines communautés locales se sont jointes aux organisations non gouvernementales (ONG) environnementales, pour dénoncer l’implantation de Camvert. Il s’agit du projet d’aménagement de la plus grande palmeraie d’Afrique centrale, devant engloutir 50 000 hectares de forêt, soit l’équivalent de trois fois la capitale camerounaise, Yaoundé.

Les vagues de l’océan atlantique s’éteignent tour à tour le long de la plage d’Ebodje où réside l’une des 19 communautés rurales de l’arrondissement de Campo, dans le sud du Cameroun. De retour d’une pêche fructueuse, Léandre Mboula Mboula partage en toute convivialité une bouteille de whisky avec ses compagnons de pêche, lorsque que se présente à lui l’occasion de dénoncer son pire cauchemar. Camvert, un projet de plantation de 50 000 hectares de monoculture de palmiers à huile, en cours d’implantation à Campo. « Notre principale activité c’est la pêche. Mais si Camvert s’installe dans ce village, leurs déchets vont se déverser en mer et nous aurons plus de poissons. Même en forêt il y aura des dégâts. Nous n’aurons plus de gibier et de plantes médicinales à cause de la déforestation » affirme Léandre Mboula Mboula, la mine préoccupée.

La coupe des arbres dont parle l’autochtone a commencé le 12 septembre 2020, pour une plantation initiale de 1500 hectares. Un démarrage d’activité synonyme de danger dans le village. « Si cette plantation arrive ici, nous sommes foutus. Je me suis rendu récemment dans la zone où Camvert a débuté les travaux, et j’ai été choqué par l’ampleur des dégâts : ils ont rasé les arbres à perte de vu.» affirme Daniel Moundjèlé, un autre pêcheur du village.

Des tortues de mer en danger

Outre de la pêche, la chasse et l’agriculture les communautés de Campo ont comme moyen de subsistance, le tourisme. L’immensité de la forêt encore vierge à certains endroits, la réserve naturelle de Campo-Ma’an et cette plage au sable blanc et fin qui s’étend sur environ 80 kilomètres jusqu’à la frontière avec la Guinée équatoriale voisine, constituent de véritables attraits touristiques pour la commune. À Ebodje par exemple, les riverains ont construit des cases pour touriste en bordure de mer. Ils disposent également d’un centre dédié à leur principale attraction touristique, les tortues de mer, dont ils craignent désormais la disparition. « Les tortues n’aiment pas les côtes polluées. Alors si Camvert s’installe dans ce village les déchets produits par leurs activités empêcheront les tortues de venir pondre à Ebodjé. Et par conséquent nous n’aurons plus de quoi attirer les touristes » explique Alexandre Zong, le coordonnateur de la maison des tortues à Ebodjé. Rejetant les garanties d’emplois promises par l’entreprise agroalimentaire, soit 8000 emplois directs et 15 000 emplois indirects, c’est avec le ton révolté que les jeunes pêcheurs d’Ebodje compostent des intentions activistes à l’endroit de Camvert. Ils disent pouvoirs compter sur l’intervention de leurs ancêtres, qu’on retrouve dans des lieux sacrés étranges en forêt et aux abords de la mer.

Cette opposition des populations locales à l’endroit du projet Camvert est donc réelle sur le terrain. Plusieurs rapports d’ONG environnementales au rang desquelles Greenpeace et Green Development Advocates, en avaient déjà fait écho. Des documents à chaque fois balayés d’un revers de la main par les promoteurs de la palmerais qui dénoncent à leur tour, des ONG (organisations non gouvernementales) à solde des groupes d’intérêts qui tirent profit de l’importation d’huile de palme au Cameroun, soit environ 200 000 tonnes par an, un véritable gouffre économique, et dont le projet Camvert entend apporter la solution.  

Les exigences de Greenpeace

Cameroun Vert SA (Camvert), est un complexe agroindustriel de plantation et de transformation des palmiers à huile en cours réalisation à Campo, une commune située dans le département de l’océan, région du Sud Cameroun.

Le projet de la plus grande palmeraie d’Afrique centrale, dont le coût d’investissement s’élève à 237 milliards de francs CFA (environ 361 millions d’euros), pour une production d’environ 180 000 tonnes d’huile de palme par an, est présenté par des ONG et certains autochtones comme « un mythe de la conversion durable des forêts, et un danger pour la sécurité alimentaire des communautés locales ». Selon ces organisations, le projet doit être stoppé, car en plus de violer la loi forestière, il représente un désastre climatique en raison de destruction projetée de 50 000 ha de forêt. « Pour les communauté locales la forêt constitue un milieu de vie. Sans être excessif, je crois qu’on doit parler de génocide culturel. Parce que ces populations ne pourront plus disposer des écorces d’arbres avec lesquelles ils se soignent, elles perdront également leurs lieux de culte et des forêts sacrées. Rappelons que pour entretenir une plantation de palmier à huile il faut polluer. Ce qui signifie que les rivières situées à l’intérieur des forêts disparaîtront après avoir été polluées, les épandages de pesticides affecteront la santé des populations voisines », explique Ranece Ndjeudja, le responsable de campagne forêt de Greenpeace Afrique.

Des ONG à la solde des groupes d’intérêt ?

Mis à part la concordance entre les dénonciations des ONG et celles exprimées par certaines communautés à Campo, notre descente sur le terrain ne nous permettra pas d’entrer dans l’enceinte de la jeune palmeraie, car l’accès nous a été interdit à la fois par l’autorité préfectorale des lieux et par la direction générale de l’entreprise Camvert depuis ses bureaux à Yaoundé. C’est en effet depuis la capitale que l’entreprise donnera les garanties environnementales prévues dans son développement. « Premièrement, les trois unités de transformation de Camvert utiliseront des chaudières à biofioul et non à fioul lourd. Nous allons mettre sur pied une centrale électrique qui utilisera la biomasse issue de la déforestation et des déchets de la plantation. Cette énergie renouvelable comblera non seulement les besoins en électricité de l’usine, mais aussi ceux des populations de Campo. Et puisque les usines produisent beaucoup d’eaux souillées, nous construirons aussi une usine qui convertira les eaux usées en engrais biologiques », explique Mamoudou Bobo, le coordonnateur de Camvert.

Poursuivant dans sa démarche environnementale, Camvert précise que les 50 000 hectares de forêt sur lesquels s’étendra sa plantation ne seront pas rasés d’un coup. Il s’agit d’une déforestation progressive, permettant de préserver l’équilibre écologique de la zone. Cela dit, l’entreprise du Camerounais Aboubakar Al Fatih, également patron de l’entreprise forestière Boiscam, dénonce à son tour les ONG qui sont à ses trousses. Il s’agit selon lui, des ONG à la solde des groupes d’intérêts, dont l’action consiste à instrumentaliser les populations de Campo afin de les retourner contre Camvert. Des populations avec qui l’entreprise dit avoir signé des cahiers de charge. Et pourtant dans un communiqué publié le 18 février 2021, Greenpeace accuse Camvert de n’avoir consulté aucune communauté locale.  

Sur le plan de la légalité, Greenpeace relève également des manquements de la part de Camvert. L’entreprise a commencé l’occupation d’un aussi grand étendu de forêt tropicale que celle de Campo, sans l’accord préalable par décret du président de la République du Cameroun.

L’entreprise Camvert reste déterminée à poursuivre son développement, quitte à ramer dans le sens inverse des rapports d’ONG. Jouissant du soutien des autorités administratives, Camvert met surtout en avant son avantage pour l’économie camerounaise. Sa production devra combler la demande nationale, évitant ainsi au pays d’importer jusqu’à 200 000 tonnes d’huile de palme par an, estimé à environ 45 milliards de francs CFA (68,6 millions d’euros). Une somme certes colossale, mais qui pour les environnementalistes, ne représente rien comparée à la sécurité alimentaire, la biodiversité, l’écosystème et l’écotourisme garanties par les 50 000 hectares de forêt menacés à Campo.

Boris Ngounou, avec le soutien du Rainforest Journalism Fund et du Pulitzer Center