Au Cameroun comme en République démocratique du Congo (RDC), les communautés villageoises assistent à la disparition de leurs forêts sacrées. Lieu de rites ancestraux et de pratique sacrificielle, les forêts sacrées subissent de plus en plus de pression au péril de leur biodiversité et de leur rôle écologique. Pour inverser la tendance, les chefs traditionnels, la société civile et les gouvernements multiplient les initiatives.
À Bafoussam, le chef-lieu de la région de l’ouest au Cameroun, « Ngouh Ngouong », une forêt sacrée située au quartier Ndiangdam, est au cœur d’une affaire entre le chef supérieur et trois notables de la cour royale. Le Chef Njitack Ngompe Péle a infligé de lourdes sanctions à ces trois notables, pour leur rôle dans l’envahissement de cette forêt sacrée. Ces derniers ont conclu la vente d’une parcelle de terrain entre les deux sites, considérés comme mâle et femelle, de « Ngouh Ngouong ». Et pourtant cette forêt a déjà perdu plus de la moitié de sa superficie en seulement cinq ans.
La pression de l’homme s’exerce aujourd’hui sur toutes ces forêts sacrées, que l’on trouve de manière parsemée dans les différents villages de la région de l’Ouest du Cameroun. Dans cette zone essentiellement constituée de savanes, et où les plantations s’étendent à perte de vue, les chefs traditionnels, considérés localement comme les premiers gardiens des forêts sacrées, déplorent une litanie de menaces.
Des chasseurs pyromanes
« De nos jours à Batié, les forêts sacrées sont confrontées à plusieurs menaces. Les gens y viennent chercher du bois et d’autres y font de la chasse. Et certains chasseurs mettent du feu, dans le but de pousser les rongeurs, notamment des rats, à sortir de leurs terriers. Outre cette pratique destructive, il y a l’invasion de ces forêts par l’activité agricole. Certains riverains des forêts étendent leurs plantations jusqu’à l’intérieur de la forêt » explique Tchouankam Theodore Dada, chef supérieur du village Batié.
Les forêts sacrées de Batoufam, localité située à environ 50 km au nord-est de Batié, ne sont pas moins épargnées. « La déforestation que nous subissons ici est surtout le fait des jeunes qui partent des villes pour s’installer au village. Ces derniers ne respectent pas les coutumes et encore moins les forêts sacrées. C’est ainsi qu’ils y entrent, coupent du bois, ou pratiquent de l’agriculture » explique Nayang Toukam Inocent, chef supérieur Batoufam.
Des chefs traditionnels pointés du doigt en RDC
Les galeries forestières de Mbankana ont été surexploitées jusqu’à leur disparition, pendant les deux dernières décennies. Dans cette zone périurbaine située à environ 150 km de Kinshasa la capitale de la République démocratique du Congo (RDC), l’expansion de la ville, la recherche de nouvelles terres à exploitées, la pauvreté, l’absence de débouchés et la mauvaise gestion de terre par les chefs coutumiers ou traditionnels, sont remis en cause.
Pour José Mubake, habitant de Mbankana, les chefs traditionnels sont les premiers responsables de la disparition des forêts sacrées. « Nos chefs coutumiers sont égoïstes dans leur posture de gardien des terres. Par cupidité et par soif d’argent, ils ont vendus des terres occupées par les forêts sacrées à des particuliers, oubliant la tradition. », déplore José Mubake.
La banalisation des forêts sacrées
La Fondation internationale pour le développement, l’entrepreneuriat et la protection de l’environnement (Fidepe), fait partie des organisations non gouvernementales (ONG) actives dans la lutte pour préservation des forêts sacrées. À Bafoussam où elle est installée, elle constate que les forêts sacrées ont presque perdu leur caractère sacré auprès des générations actuelles. « Les religions étrangères et plus particulièrement le christianisme, considèrent nos rituels sacrificiels comme étant des pratiques sataniques. Cela pousse beaucoup de nos frères à rejeter leur tradition ainsi que les lieux où celle-ci est pratiquée. C’est pourquoi de nos jours, vous verrez n’importe qui s’introduire dans les forêts sacrées, n’hésitant pas de les piller au passage. », déplore Clovis Koagne, le président de Fidepe.
Les règles et codes coutumiers qui protègent les forêts sacrées ne sont pas toujours respectés par les riverains. « Avant d’entrer dans la forêt, vous devez demander l’autorisation aux chefs coutumiers. Et si vous passez outre leur autorité, un malheur peut vous arriver en forêt. Vous pouvez même vous perdre. », explique Willy Fimpele, notable de Mbankana en RDC.
Un patrimoine au cœur des enjeux climatiques et biologiques
Il existe deux grands types de forêts sacrées. Les forêts sacrées de quartier ou forêts sacrées lieu de cultes et les forêts sacrées de chefferie. Les forêts sacrées de quartier sont des îlots de forêts naturelles situés dans la quasi-totalité des quartiers de chaque village. Pour les populations, ces forêts abritent les dieux qui protègent ou viennent-en aide en cas de difficulté. Les forêts sacrées de chefferie sont quant à elles, des îlots de forêts naturelles rencontrés autour de la chefferie de chaque village. Elles sont le lieu des rites initiatiques des différents clans du village. Les grands dignitaires du village ou notables organisés en sociétés secrètes y tiennent leurs réunions.
Derniers bastions forestiers pour les régions explorées au Cameroun et en RDC, les forêts sacrées font partie des aires du patrimoine autochtone et communautaire (Apac). Elles sont conservées par des communautés locales sur la base des us et coutumes. Au Cameroun ces forêts ne sont pas prises en compte par la loi de 1994 sur les forêts. Ce vide juridique s’ajoute aux nombreuses menaces que rentrent ces espaces dont l’addition se chiffre en termes de millions d’hectares, selon Fidepe. C’est donc une surface forestière considérable dans la lutte contre le réchauffement climatique, à travers l’absorption des gaz à effet de serre.
Par ailleurs, ces forêts sont déterminantes pour l’atteinte des objectifs de l’Agenda post 2020 de la Convention sur la biodiversité. Publié le 12 juillet 2021 par le secrétariat de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB), cet agenda comprend 21 objectifs pour 2030 qui demandent, entre autres, qu’au moins 30 % des zones terrestres et maritimes mondiales soient conservés. « Les forêts sacrées regorgent d’espèces animales et végétales variées dont la disparition serait dramatique pour la biodiversité et même pour la médecine traditionnelle. Et même si nous plantons des acacias ou des eucalyptus, nous ne réussirons pas à ramener ces arbres primitifs, réservoir du savoir traditionnel, que nous ont légué nos ancêtres. », indique Salah Mushiete, chef du village Impini situé dans la province Kwilu au sud de la RDC.
Le projet Cobalam
Pour inverser la disparition des forêts sacrées du Cameroun, le gouvernement et ses partenaires, notamment l’ONU-Environnement, ont procédé en 2021 au lancement du projet « Éliminer les obstacles à la conservation de la biodiversité, à la restauration des terres et à la gestion durable des forêts par la gestion communautaire des paysages (Cobalam) ».
Financé par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), et mis en œuvre par l’ONG Rainforest Alliance, Cobalam a pour but de conserver la biodiversité dans les hautes terres de l’ouest et la région du Sud au Cameroun à travers une approche de gestion durable du paysage, dans laquelle les Forêts à hautes valeurs de conservation (FHVC) sont protégées.
La composante 1 du projet Cobalam se concentre sur l’amélioration d’un environnement favorable afin que les FHVC, parmi lesquelles se trouvent les forêts sacrées, soient mieux protégées. « Les chefs traditionnels avec qui nous travaillons nous ont notamment fait par d’un besoin de délimitation des forêts sacrées. Et nous pensons aujourd’hui que la mise en œuvre d’une cartographie participative est cruciale pour l’avancement de la préservation de ces zones » explique Jacques Waouo, Team Manager à Rainforest Alliance.
Boris Ngounou et Myriam Iragi, avec le soutien du Rainforest Journalism Fund et du Pulitzer Center