À l’occasion de l’édition 2025 de la Journée mondiale de la pêche – célébrée cette année autour du thème spirituel et engagé « Nous n’avons rien pris ; mais sur ta parole, je jetterai les filets » – un nouveau rapport de la Coalition de lutte contre la pêche INN dans l’Union européenne (EU IUU Fishing coalition), composée des ONG telles que Environnemental justice foundation (EJF), The Nature conservacy, Oceana, ou WWF met en lumière les limites du système européen de contrôle des produits halieutiques. Entre 2020 et 2023, seuls 0,29 % des certificats de capture ont été vérifiés lors des importations vers l’Union européenne, ouvrant la voie à l’entrée de volumes importants de poissons potentiellement issus de la pêche INN (illicite, Non déclarée et Non réglementée).
Pour analyser ces défaillances et leurs répercussions sur le golfe de Guinée et les côtes camerounaises, nous avons interrogé Dr Ysaac Chavely MBILE NGUEMA, expert en lutte contre la pêche INN et responsable du programme pêche INN et économie bleue à AMCO.
Que révèle ce rapport sur les limites actuelles de la lutte contre la pêche illégale ?
Le rapport met en évidence le fait que certains pays européens ne vérifient pas de manière systématique et rigoureuse les certificats de capture, instruments importants pour garantir la traçabilité des produits de pêche. C’est le cas du Portugal et de l’Italie. Entre 2020 et 2023, seuls 0,29 % des certificats de capture ont été effectivement contrôlés. Cela signifie que d’importants volumes de produits halieutiques circulant dans le marché européen pourraient provenir de la pêche INN.
Il montre qu’en dépit du modèle européen de lutte contre la pêche INN qui demeure une référence mondiale, certains pays présentent encore de failles importantes dans l’exercice de leurs responsabilités en qualité d’Etats du marché. Le problème n’est donc pas l’absence de certificats, mais le manque de rigueur dans leurcontrôle. Il est indispensable que le personnel chargé de cette mission applique plus strictement les procédures.
En quoi ces défaillances européennes peuvent-elles contribuer à aggraver la pêche INN dans le golfe de Guinée et sur les côtes camerounaises ?
Établir un lien direct n’est pas simple. La pêche INN dans le golfe de Guinée est un phénomène ancien. Dans les années 1990, et sur une période d’au moins vingt ans, l’Afrique de l’Ouest et une partie de l’Afrique centrale étaient déjà confrontées à une situation critique.
Cependant, oui, il existe un lien indirect. Les opérateurs de la pêche INN étant motivés par le profit, toute faille dans un système de contrôle, surtout au niveau d’un marché aussi attractif que l’UE, devient une opportunité. Si les certificats de capture ne sont pas suffisamment contrôlés par certains pays européens, les produits issus de pratiques illégales trouvent plus facilement preneur. Cela pourrait stimuler les navires de pêche à recourir à des pratiques peu recommandées dans leurs activités de pêche dans les eaux du golfe de guinée.
Il est donc crucial que l’UE en général et les pays nommément désignés en particulier prennent très au sérieux les recommandations du rapport, afin d’éviter que ces failles ne fassent prospérer à nouveau la pêche INN dans les Etats côtiers du golfe de guinée. Ce qui ne sera pas sans impact sur les efforts consentis dans lutte contre ce fléau dans cet espace.
Le Cameroun dispose-t-il aujourd’hui des moyens nécessaires pour surveiller et contrôler ses zones et navires de pêche ?
Le Cameroun dispose de moyens, mais ils ne sont pas encore suffisants. Depuis l’attribution du carton rouge par l’UE le 5 janvier 2023, des progrès notables ont été réalisés :
- adoption d’une nouvelle loi sur la pêche ;
- préparation de décrets d’application ;
- appui divers des partenaires comme par exemple dans le cadre du projet Stop IUU Fishing in Cameroon financé par Ocean 5 et mis en œuvre par AMCO-EJF-MINEPIA.
Cependant, sur le plan opérationnel les besoins restent importants :
- équipement suffisant et moderne de surveillance;
- augmentation de la fréquence de la présence en mer ;
- dotation des capacités suffisantes de contrôle des navires battant pavillon camerounais.
La mer coûte cher. Les moyens doivent être renforcés pour permettre au Cameroun d’assumer pleinement son rôle d’État côtier, d’État du pavillon et d’État du port.
Quelles solutions urgentes recommandez-vous pour renforcer la coopération Afrique–Europe contre la pêche illégale ?
La coopération Europe–Afrique dans la lutte contre la pêche INN est ancienne et a permis des avancées importantes. L’Union européenne finance divers projets, que ce soit avec les Etats ou avec les organisations régionales de pêche telles que :
- la Commission Régionale des Pêches du Golfe de Guinée (COREP),
- la Commission Sous régionale des pêches (CSRP),
- le Comité des Pêches pour le Centre-Ouest du golfe de Guinée (CPCO).
Pour aller plus loin, il importe :
- Renforcer le dialogue politique, notamment lors du prochain sommet UA–UE ;
- Poursuivre et augmenter les financements destinés aux États du golfe de Guinée ;
- S’assurer que les navires européens eux-mêmes ne se livrent plus à la pêche INN dans les eaux africaines ;
- Maintenir le système de “cartons”, qui a démontré son efficacité. Ce système a permis à la Guinée et désormais au Cameroun de réformer leurs systèmes nationaux de lutte contre la pêche INN sous l’effet de ces sanctions.
Propos Recueillis par Boris NGOUNOU
