Quand le panier de légumes devient un luxe : récit d’une crise climatique au marché

cherté des légume et climat

Entre prix qui s’envolent, récoltes ruinées et vendeuses désabusées, Luchelle Feukeng, communicante chez Greenpeace Afrique, livre un témoignage poignant sur une réalité de plus en plus familière : celle des camerounais voyant les effets du changement climatique s’inviter dans leurs assiettes. Une chronique du quotidien qui révèle, à travers des scènes de marché, toute l’urgence d’agir.

Franchement, c’est devenu chaud au marché. Tout est cher. Et de plus en plus de commerçants pointent du doigt le climat.

Laissez-moi vous raconter un peu…

Le week-end dernier, j’avais un rendez-vous du côté d’Odza, à Yaoundé. J’ai voulu en profiter pour faire quelques achats – surtout acheter des légumes en quantité pour stocker à la maison.

J’approche une vendeuse. « Le tas coûte 500 FCFA » (environ 1 dollar), me lance-t-elle.
Je reste figée. Honnêtement, j’étais choquée. Mon regard a tout dit. La vendeuse a tout capté et a commencé à se justifier:

«Ma fille, tout est devenu cher oh! Les paysans sèment, mais la pluie ne tombe pas. Les récoltes ne donnent même pas. Et les légumes que tu cherches sont rares maintenant. »

Je comprends hein, mais je n’en revenais pas. Le même tas de légumes, avant, coûtait 100 francs. Aujourd’hui, c’est multiplié par cinq!

Ça m’a rappelé un autre jour où j’étais avec ma maman. On voulait juste grignoter un peu : un peu de plantain rôti avec du safou. Je dis à la vendeuse: «Donne-moi pour 500 francs. »

Avant, avec 500 francs, tu avais un bon plat. Mais ce jour-là, la vendeuse me regarde et me sort: «Un safou coûte 200 francs. »

Sous-entendu : si elle m’en donne deux, il ne reste rien pour le reste!

On a refusé. Moi j’aurais bien accepté, mais pas maman. Elle a dit : «Non, c’est trop injuste. Allons chercher autre chose. »

Chemin faisant, elle m’a raconté que même à Batouri, à l’Est, où il y a pourtant assez de forêts et de bonnes terres, la situation est pareille.

Autrefois, avec 200 FCFA, on pouvait avoir une belle portion de macabo. Aujourd’hui, même avec 500 FCFA, on ne vous sert qu’une toute petite quantité.

«J’ai moi-même semé du macabo dans mes champs et je n’ai rien récolté… il n’a pas plu, » me confie-t-elle, entre indignation et désespoir.

Et ce n’est pas tout…

Le lendemain, je vais dans un autre marché pour chercher du concombre. Quand je demande le prix, la vendeuse me balance sans pitié: «1000 francs le tas. »

Quatre concombres moyens. Presque 2 euros. Inconcevable, surtout en saison de pluie à Yaoundé, où normalement le concombre devrait abonder. Quand Je lui en fais la remarque, la vendeuse me répond sec: «Ce n’est pas ma faute si tout est cher !»

Et c’est bien là la triste réalité à laquelle les Camerounais sont aujourd’hui confrontés : se nourrir devient de plus en plus difficile. En mai 2023, un rapport publié par le ministère de l’Agriculture et du Développement Rural révélait que trois millions de personnes au Cameroun — soit environ 11 % de la population — se trouvaient en situation d’insécurité alimentaire aiguë. Le rapport désignait le changement climatique comme l’un des principaux facteurs de cette crise. L’an dernier, Greenpeace Afrique avait déjà lancé un appel aux dirigeants, les avertissant que les fortes pluies menaçaient la sécurité alimentaire et risquent de faire grimper le coût de la vie.

Mais alors, à qui la faute? La nature?  L’État? Nous? Il faut taxer les super-riches

Ces expériences, aussi désagréables soient-elles, m’ont fait prendre conscience d’un fait incontournable : les effets du changement climatique ne sont pas une théorie lointaine. Ils sont là, dans nos marchés, dans nos cuisines, dans nos assiettes, et ils frappent chaque jour un peu plus fort. Quand le climat change, ce ne sont pas seulement les écosystèmes qui sont en danger, mais nos réalités les plus fondamentales. Il faut que les rassemblements tels que la COP cessent d’être des vitrines diplomatiques ou des parades symboliques. Ces espaces doivent devenir des lieux d’action réelle, où les États prennent des engagements concrets et les mettent en œuvre. Le temps presse, et chaque jour sans action nous enfonce un peu plus dans la crise, tout en donnant l’illusion que nous voulons régler le problème.

C’est une urgence absolue, non seulement pour nous aujourd’hui, mais surtout pour les générations futures. Il faut que cette politique de l’autruche cesse! Il est temps d’agir, de taxer les super-riches et les grandes industries polluantes. La planète n’est pas une marchandise à exploiter à l’infini, ni une poubelle pour y déverser sans honte les déchets toxiques des industries minières et gazières.

La nature est un trésor. Un patrimoine commun que nous devons préserver jalousement. Avant qu’il ne soit trop tard.

Luchelle Feukeng, Chargée de la Communication et du Storytelling, Greenpeace Afrique

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