Douala, bois sous douane : les secrets d’un pillage à ciel ouvert, enquête sur les routes invisibles du bois illégal camerounais vers l’Asie

Entre 2013 et 2018, le Vietnam a importé pour 883 millions dollars de bois déclaré comme d’origine camerounaise, alors que Yaoundé n’avait officiellement enregistré que 476 millions dollars. Cette révélation faite par une enquête de l’Environmental Investigation Agency, indique l’existence d’un trou commercial de plus de 400 millions de dollars, soit environ 225,6 milliards FCFA. En d’autres termes, la chaîne d’approvisionnement du bois camerounais est gangrénée par un trafic massif et une sous-facturation organisée. Sur le terrain, à l’entrée du port de Douala, notre investigation met au jour un système rodé : documents détournés, « lettres de route » falsifiées, corruption aux checkpoints et circuits maritimes discrets vers l’Asie, qui transforment l’exportation du bois en un commerce parallèle extrêmement lucratif.

Entre 2013 et 2018, le Vietnam a importé pour 883 millions dollars de bois déclaré comme d’origine camerounaise, alors que Yaoundé n’avait officiellement enregistré que 476 millions dollars. Cette révélation faite par une enquête de l’Environmental Investigation Agency, indique l’existence d’un trou commercial de plus de 400 millions de dollars, soit environ 225,6 milliards FCFA. En d’autres termes, la chaîne d’approvisionnement du bois camerounais est gangrénée par un trafic massif et une sous-facturation organisée. Sur le terrain, à l’entrée du port de Douala, notre investigation met au jour un système rodé : documents détournés, « lettres de route » falsifiées, corruption aux checkpoints et circuits maritimes discrets vers l’Asie, qui transforment l’exportation du bois en un commerce parallèle extrêmement lucratif.

Etendu sur environ 28 hectares, le Parc à Bois du Port Autonome de Douala (PAD) est, pour les exportateurs officiels comme pour les trafiquants, le nœud de départ des cargaisons vers l’étranger. Ici arrivent chaque jour des convois de grumiers. Soit une moyenne de 100 camions par jour, et parfois davantage, lesquels sont chargés de 16 à 45 m³ de grumes. Officiellement, chaque lot doit être appuyé d’une lettre de route émise par l’administration des forêts et d’une documentation SIGIF permettant de vérifier l’origine et l’autorisation de coupe. Mais dans la réalité, ces vérifications se font trop rarement, ou peuvent être contournées.

Au cœur du dispositif, trois failles structurelles cohabitent. Tout d’abord la centralisation de l’autorisation papier. Le permis d’exploitation confère à son détenteur, la possibilité de faire transiter d’énormes volumes de bois. Puis vient la faiblesse des contrôles douaniers qui se limitent souvent à la fiscalité. Et en fin, vient l’utilisation du parc comme lieu de « légalisation » administrative avant embarquement. Ces éléments convergent et créent une chaîne rentable pour des acteurs tels que sont les coupeurs locaux, intermédiaires, titulaires d’autorisations et opérateurs portuaires complices.

Au cœur du parc à bois de Douala, là où s’efface la trace des forêts

Il suffit de quelques minutes dans le parc à bois du port de Douala pour comprendre que quelque chose cloche. Les grumes empilées s’étendent à perte de vue, marquées de chiffres souvent illisibles, parfois fraîchement repeints. Autour d’elles, un ballet continu de camions venus du Sud, du Centre et de l’Est du pays. C’est ici, dans ce théâtre bruyant, que se joue l’ultime étape du pillage forestier au Cameroun.

Mercredi 26 novembre 2025. Notre entrée en mode espion, au sein du terminal bois du Port autonome de Douala/ ©environnementales.com

Lors de notre immersion, un agent des douanes accepte de parler, à condition de rester anonyme. Sa voix est posée et méfiante : « On ne vérifie pas l’origine du bois. Ce n’est pas vraiment notre mission. Nous, on perçoit les taxes. ». Derrière lui, un grumier décharge sa cargaison sans que personne ne demande d’où viennent réellement ces troncs massifs.

Un conducteur de grumier, rencontré plus tôt sur la route, nous avait déjà décrit la mécanique. « On charge en brousse, dans les forêts du Sud ou de l’Est. Sur place, quelqu’un fournit les papiers. On les fabrique aussi dans les parcs de rupture. Arrivé ici, on montre la lettre de route, et ça passe », murmure-t-il, conscient du risque qu’il prend en témoignant. Le circuit est fluide, presque trop simple : brousse → faux papier → parc à bois → douane → navire.

Exemple d’une lettre de voiture/ ©fr.scribd.com

Un cadre comptable dans une grande société forestière confirme. « Les UFA sont faciles à manipuler. On peut inscrire sur une autorisation un bois venu d’ailleurs. Parfois on « prête » un permis. Et puis… il y a la corruption. Beaucoup de corruption. ». Des techniques de blanchiment dignes d’un roman noir. Au fil des jours d’enquête, plusieurs méthodes reviennent comme un refrain : Le permis « ponctionné » pratique via laquelle un exploitant légal ajoute dans ses documents un lot clandestin ; Puis vient la falsification artisanale par voie de photocopies, recopiages, numéros d’UFA dupliqués ; L’on distingue aussi le groupage massif, qui consiste à mélanger les bois pour noyer l’origine réelle, rendant tout contrôle presque inutile ; Les paiements informels qui sont des « amendes » négociées ainsi que des billets de banque glissés aux niveau des checkpoints forestiers ; Le transit furtif via des barges, des points de transbordement, et les départs de nuit, en direction les grands hubs asiatiques, Chine et Vietnam en tête.

Rien de tout cela n’est improvisé. Ce sont des chaînes logistiques entières qui fonctionnent dans l’ombre, reliant coupeurs, convoyeurs, intermédiaires, agents corrompus et acheteurs étrangers que sont notamment des importateurs et transformateurs basés en Asie (Chine, Vietnam), et parfois en Europe via des circuits de transformation intermédiaire.

L’export vers l’Asie : Douala → Chine / Vietnam

Entre 2013 et 2018, les données du commerce international montrent un écart massif entre les exportations enregistrées par le Cameroun et les importations déclarées par les principaux pays asiatiques. Pour le Vietnam : 883 millions de dollars importés contre 476 millions de dollars déclarés par le Cameroun, soit un écart de 406 millions de dollars, équivalent à environ 225,6 milliards FCFA. Pour la Chine, sur la même période, selon l’analyse du journalisme d’investigation, la Chine a déclaré 1,497 milliard dollars de bois importé du Cameroun, tandis que les exportations camerounaises vers la Chine atteignaient seulement 693 millions dollars soit un déficit de 804 millions de dollars, équivalent à environ 391,5 milliards de francs CFA.

Bois camerounais exporté et disparités observées

Période / Pays importateurValeur déclarée par l’Asie (USD)Valeur déclarée export par Cameroun (USD)Écart constaté (USD)
2013–2018, Vietnam883 M476 M+ 406 M
2013–2018, Chine1 497 M693 M+ 804 M

Ces écarts confirment un circuit bien rodé. Le bois coupé illégalement dans les forêts du Sud, du Centre ou de l’Est du Cameroun est transporté vers le port de Douala ; une fois entré au parc à bois avec permis falsifiés, puis passé en douane sans vérification d’origine, il embarqué vers des ports asiatiques. En mai 2016, des résultats d’investigations publiés par l’ONG internationale de protection de la nature Greenpeace montrent que plusieurs entreprises exportatrices liées à ce trafic illégal fournissent du bois à la fois à la Chine et à l’Europe. Parmi celles-ci figurent CCT, « le plus gros exportateur de grumes du Cameroun », qui fournit du bois à des importateurs en Chine ainsi qu’en Europe. Le rapport fait également mention de la Socamba,et de Fibois BV un importateur hollandais qui a été sanctionné en 2016 pour avoir importé du bois camerounais via CCT sans effectuer les vérifications requises par le Règlement Bois de l’Union européenne (EUTR).      

Parc à Bois du port de Douala : Point d’entreposage des grumes, en destination de la Chine/ ©environnementales.com

À l’arrivée en Asie, notamment en Chine ou au Vietnam, le bois brut est scié, transformé en panneaux, planches, et meubles. Un process qui efface les marquages initiaux des grumes (numéros d’UFA, lettres de route, marquages légaux). Cette transformation rend quasiment impossible toute traçabilité de l’origine camerounaise du bois, ce qui permet de blanchir l’origine illégale. Ce procédé transforme l’Asie en hub de lavage légal, puisant dans la faiblesse des contrôles et la forte demande mondiale pour légitimer du bois frauduleux. Plusieurs rapports d’ONG comme l’Environmental Investigation Agency (EIA) et l’Center for Environment and Development (CED) documentent ces pratiques.

En conséquence, les volumes blanchis peuvent être réexportés vers d’autres marchés, y compris européens, sous forme transformée. Ce qui rend extrêmement difficile le contrôle d’origine et d’impact.

Le cadre réglementaire et ses limites

La loi camerounaise révisée, N0008 du 24 juillet 2024 (articles 97–105 et dispositions connexes) impose, entre autres, le marquage, la délivrance de lettres de route et des itinéraires autorisés, ainsi que la transformation locale. L’export de grumes est en principe strictement encadré ou interdit selon les normes en vigueur. La nouvelle loi prévoit l’interdiction générale des exportations de bois en grumes, mais avec application progressive. Et dans un arrêté publié en avril 2024, le Ministère des Forêts et de la Faune (MINFOF) précise les noms de 76 essences de bois interdites à l’exportation sous forme de grume. Une décision qui s’inscrit dans la feuille de route de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), qui a convenu d’un embargo total sur l’exportation des grumes via les États membres d’ici 2028. 

Ces instruments législatifs visent à garantir la traçabilité et la valeur ajoutée locale. Sauf que leur application se heurte à des réalités pratiques. C’est le cas par exemple du système informatisé de gestion de l’information forestière (SIGIF), un outil numérique de gestion transparente des ressources forestières, qui selon des sources internes à l’administration forestière, peine à fonctionner correctement et peut être manipulé ; les mêmes sources nous font constater que les contrôles de terrain manquent de moyens et que l’administration abandonne certains espaces exploitables à la merci des trafiquants (souches, numéros non vérifiés).

Le marquage du bois dès la forêt, comme alternative

Face aux failles du cadre réglementaire, l’une des alternatives présentées comme étant efficaces pour freiner l’essor du bois illégal consiste à marquer chaque grume dès son abattage, directement dans l’Unité Forestière d’Aménagement (UFA). Ce marquage, sous forme de codes uniques, estampilles inviolables, QR codes ou puces RFID, permet de suivre physiquement le bois à chaque étape : parc à grumes, scierie, transport, douane et exportation. Selon l’Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT), les systèmes de traçabilité forestière permettent de réduire jusqu’à 30 à 50 % les pertes liées au trafic illégal lorsqu’ils sont correctement appliqués. Des pays comme le Ghana et le Liberia, qui ont introduit des systèmes numériques de traçabilité (Timber Validation Department au Liberia, Wood Tracking System), ont réussi à certifier plus de 80 % du bois exporté grâce à un marquage obligatoire depuis la forêt.

Mais le principal avantage de ce marquage réside dans sa capacité à détecter l’illégalité même après transformation. En effet, des technologies comme les signatures isotopiques et l’analyse ADN permettent aujourd’hui d’identifier l’origine géographique d’un bois avec une précision de 85 à 95 %. Associées au marquage physique, ces méthodes créent une « double preuve » : même si une grume illégale est débitée, transformée en meuble ou mélangée dans un lot légal, son origine réelle peut être démontrée, y compris devant un tribunal. L’Union européenne estime que ces technologies pourraient réduire de jusqu’à 20 milliards de dollars par an le commerce mondial de bois illégal.

Boris Ngounou

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Share via
Copy link