Au terme de 27 heures de prolongations, la COP30 s’est close le 22 novembre 2025 sur un accord « Mutirão » que Greenpeace Afrique qualifie de texte vide, incapable d’arrêter l’effondrement des forêts tropicales. Alors que ces écosystèmes approchent un point de bascule irréversible, les États ont échoué à fixer une trajectoire claire pour stopper la déforestation d’ici 2030 ou engager la sortie des énergies fossiles. Dans un contexte où les pays forestiers réclament au moins 100 milliards de dollars par an, et où les besoins réels sont désormais estimés à 1 300 milliards, Bonaventure Bondo, chargé de campagne Forêts chez Greenpeace Afrique, dénonce « un rendez-vous manqué avec l’histoire ».
Vous qualifiez le texte Mutirão de page blanche. Concrètement, quelles mesures indispensables manquent aujourd’hui pour protéger réellement les forêts tropicales de la planète ?
Le texte Mutirão est passé complètement à côté de l’enjeu historique. Dix ans après l’Accord de Paris, alors que les forêts tropicales s’effondrent et que les impacts climatiques s’intensifient, ce texte a échoué à proposer un plan d’action global, cohérent et opérationnel pour stopper la déforestation et la dégradation des forêts d’ici 2030. Les gouvernements avaient l’opportunité de fixer une trajectoire claire, avec des mesures obligatoires, un calendrier précis et des mécanismes de redevabilité. Ils ont préféré livrer un compromis fragile, déconnecté de la réalité des communautés et de la science.Le silence du texte sur la sortie des énergies fossiles a été encore plus alarmant. Alors que les preuves s’accumulent sur le rôle central du pétrole, du gaz et du charbon dans la crise climatique, Mutirão na pas oser même poser les bases d’une feuille de route pour sortir et éliminer les combustibles fossiles. Ce manque de courage politique montre que de nombreux gouvernements n’ont pas encore compris ou refusent d’admettre que protéger les forêts implique nécessairement de rompre avec un modèle économique basé sur l’exploitation destructrice. Sans décisions fortes, contraignantes et centrées sur les droits des peuples autochtones et des communautés locales, la promesse du 1,5 °C ne sera qu’un slogan vide. Mutirão devait être un tournant.
On évoque de plus en plus le risque de point de bascule pour les grandes forêts tropicales. Que signifie ce basculement et quelles seraient les conséquences directes pour les populations d’Amérique du Sud, d’Afrique centrale et d’Asie du Sud-est ?
Le basculement des grandes forêts tropicales correspond à une accélération des activités destructrices comme la déforestation massive, l’exploitation industrielle du bois et l’expansion du pétrole, du gaz et des mines au cœur des territoires forestiers. Une fois ce seuil franchi, la forêt perd sa capacité à se régénérer et s’effondre rapidement. Pour les peuples autochtones et les communautés locales, les conséquences sont immédiates et profondes : accaparement de leurs terres, disparition des espaces de chasse, de pêche et de collecte, perte de leurs moyens de subsistance et rupture de leurs relations culturelles et spirituelles avec la forêt. Ce basculement entraîne également une augmentation des violations des droits humains, car l’arrivée de projets extractifs s’accompagne souvent de conflits, d’intimidations et d’exclusions
Les pays forestiers demandent au moins 100 milliards de dollars par an pour protéger leurs massifs. Selon Greenpeace, qu’est-ce qui bloque encore la mobilisation de ces financements ? Et quelles sources devraient être mises à contribution en priorité ?
Ce qui freine réellement la mobilisation des financements, ce n’est pas l’absence de solutions : c’est le manque de volonté politique du Nord global d’assumer ses responsabilités historiques et de respecter ses propres engagements. Les 100 milliards, jamais réellement atteints, ne représentent plus rien face aux besoins colossaux du continent africain. Aujourd’hui, la feuille de route Baku–Belém estime ces besoins à 1 300 milliards de dollars.
Et pourtant, cette feuille de route offre une vision claire, structurée, et déjà consensuelle sur les mécanismes de mobilisation des ressources. La COP30 représentait donc une occasion décisive peut-être l’une des dernières avant 2030 pour poser les bases concrètes de sa mise en œuvre. Une opportunité historique pour aligner les ambitions et les financements. Mais une fois de plus, les gouvernements ont manqué l’essentiel. Ils ont laissé passer un moment crucial pour transformer les engagements en actions, et les promesses en résultats concrets pour les peuples et les écosystèmes les plus vulnérables.
Propos recueillis par Boris Ngounou
