GABON : Perenco, accusé d’avoir fait 6 morts et 65 000 $ de pot-de-vin, une omerta explosive

Un rapport-choc publié le 21 mai 2025 par l’Environmental Investigation Agency (EIA US), intitulé « Mort à huis clos », met en lumière les circonstances dramatiques d’un accident pétrolier survenu en mars 2024 au large des côtes gabonaises. L’explosion sur la plateforme Becuna, exploitée par le groupe franco-britannique Perenco, a causé la mort de six travailleurs, constituant à ce jour l’accident offshore le plus meurtrier jamais signalé sur le continent africain.

Un rapport-choc publié le 21 mai 2025 par l’Environmental Investigation Agency (EIA US), intitulé « Mort à huis clos », met en lumière les circonstances dramatiques d’un accident pétrolier survenu en mars 2024 au large des côtes gabonaises. L’explosion sur la plateforme Becuna, exploitée par le groupe franco-britannique Perenco, a causé la mort de six travailleurs, constituant à ce jour l’accident offshore le plus meurtrier jamais signalé sur le continent africain.

Les révélations de l’EIA s’appuient sur quatre années d’enquête, mêlant entretiens avec des lanceurs d’alerte, infiltrations, et analyses techniques. Le rapport dénonce une culture d’entreprise à haut risque, dictée par la recherche effrénée du profit, souvent au détriment des normes de sécurité, de l’environnement et des droits humains.

Selon l’enquête, les six victimes – toutes des employés de la plateforme – auraient été contraintes de poursuivre des opérations de maintenance malgré de multiples remontées de pétrole signalant une instabilité structurelle. Ces alertes n’auraient pas été mentionnées dans les rapports techniques, sur instruction de la direction à Paris, afin d’éviter l’interruption des activités et les pertes financières.

Plus grave encore, l’EIA accuse Perenco d’avoir fait disparaître des preuves après la catastrophe, en violation des standards internationaux. Des restes humains auraient été manipulés et éliminés sans procédure officielle, tandis que des pressions auraient été exercées sur un témoin-clé de l’accident. Un pot-de-vin présumé de 65 000 dollars aurait été versé à un procureur gabonais pour enterrer l’affaire. Dans le même temps, la famille de l’unique victime française, responsable de l’opération, aurait touché près de 10 millions de dollars américains contre la signature d’un accord de confidentialité. Les familles des victimes africaines, elles, n’ont reçu aucune indemnisation à ce jour.

Une gouvernance centralisée malgré un discours de décentralisation

Perenco a toujours soutenu que ses nombreuses filiales étaient autonomes, échappant ainsi à la responsabilité directe de la maison-mère. Un argument balayé par les experts cités par l’EIA. « À ma connaissance, certains aspects essentiels comme le financement ou les investissements stratégiques ne peuvent pas être traités localement », affirme David Collis, professeur à la Harvard Business School. Toutes les décisions-clés seraient en réalité prises à Paris et Londres, ce que confirme un ancien directeur pays de Perenco.

Ce n’est pas la première fois que Perenco est visé par de telles accusations au Gabon. En 2020, dans la commune d’Etimboué, plusieurs ONG et habitants avaient dénoncé une pollution chronique de l’eau et des sols, provoquant des maladies respiratoires et dermatologiques. L’affaire, relayée par des médias internationaux, avait été étouffée après une courte enquête administrative, sans sanctions ni réparation pour les populations locales.

Quelques chiffres clés :

  • 6 morts sur la plateforme Becuna en mars 2024
  • 65 000 $ US : pot-de-vin présumé versé à un procureur
  • 10 millions $ US : compensation versée à la famille du cadre français décédé
  • 14 pays d’opération pour Perenco
  • 300 000 barils de pétrole déversés lors d’une fuite au Gabon (incident précédent)
  • 0 compensation pour les familles africaines des victimes à ce jour

Réactions mitigées des autorités gabonaises

Le rapport de l’EIA appelle à une action forte du gouvernement gabonais, en particulier de la Présidence de la République, du Ministère de l’Environnement et du Ministère du Travail, afin de faire toute la lumière sur les responsabilités. En mai 2024, le président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, s’était rendu discrètement sur les lieux du drame. Mais selon l’EIA, les conclusions d’un audit interne commandité par l’État n’ont jamais été transmises ni au président ni à ses proches collaborateurs, laissant planer le doute sur une tentative de dissimulation à haut niveau.

Plus d’un an après le drame, aucune commission indépendante n’a encore été formellement installée, malgré les interpellations répétées des ONG internationales et des familles des victimes. Toutefois, une cellule de veille environnementale a récemment été annoncée au sein du ministère en charge de l’environnement, signe que la pression internationale commence à faire effet.

Le silence stratégique et la défense juridique de Perenco

Sollicité par l’EIA pour répondre à 35 questions précises, Perenco a préféré se retrancher derrière une lettre signée par son avocat Clément Dupoirier, membre du Barreau de Paris. Dans sa réponse, l’avocat dénonce un « questionnaire partial, préjudiciable et truffé d’hypothèses implicites ou explicites », et affirme que son client ne fera aucun commentaire. Il demande néanmoins que le contenu de sa lettre soit inclus dans toute publication publique.

« Mon client vous demande de mentionner le contenu de cette lettre, si vous décidez de rendre publique toute forme de rapport […] Mon client réserve tous ses droits dans cette affaire. »

Le cas Perenco devient emblématique des zones d’ombre de l’exploitation pétrolière en Afrique, où multinationales puissantes, infrastructures vieillissantes et régulations laxistes se combinent au détriment des travailleurs, des riverains et des écosystèmes. L’EIA exhorte la France et le Royaume-Uni, où se trouvent les sièges du groupe, à ouvrir une enquête judiciaire sur les pratiques de Perenco.

Tant que des mécanismes de contrôle indépendants ne seront pas mis en place et que la justice n’agira pas avec équité – qu’elle concerne des victimes africaines ou européennes – le spectre d’un nouveau Becuna plane dangereusement au-dessus des côtes africaines.

Boris Ngounou

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Share via
Copy link