Le 2 avril 2025, le ministre camerounais des Domaines, du Cadastre et des Affaires Foncières (MINDCAF) a signé une circulaire imposant une « lettre de non objection » des chefs traditionnels pour toute demande de titre foncier ou de concession sur une superficie de 20 hectares ou plus. Présentée comme un pas vers une meilleure gouvernance foncière et une implication renforcée des autorités coutumières, cette mesure suscite de vives inquiétudes. Sur le plan juridique, elle outrepasse les pouvoirs d’un ministre en modifiant, de fait, des décrets présidentiels. Pour Stella Tchoukep, juriste et responsable de la campagne forêt chez Greenpeace Afrique, cette initiative, mal encadrée, risque d’ouvrir la porte à des abus, d’alimenter les conflits et de fragiliser davantage les droits fonciers des communautés rurales.
Le Ministre des Domaines, du Cadastre et des Affaires Foncières (MINDCAF) a promulgué, le 2 avril 2025, la circulaire n° 003/MINDCAF/CAB/LC. Celle-ci instaure l’obligation, pour toute demande d’immatriculation directe ou de concession des terres nationales de 20 hectares ou plus, d’obtenir une « lettre de non-objection » ou une « lettre d’objection » émanant du chef traditionnel de 1er ou 2e degré compétent territorialement. C’est une tentative manifeste d’intégrer les autorités coutumières dans le processus de décision foncière, notamment pour prévenir l’accaparement des terres, protéger les communautés locales, et limiter les conflits fonciers. Toutefois, comme le soulignent certains articles de presse et l’analyse juriste associée, cette démarche n’est pas portée par un texte législatif ou réglementaire de valeur supérieure. Car une circulaire ne saurait modifier des décrets présidentiels existants sans enfreindre la hiérarchie des normes.

Stella Tchoukep, en tant que juriste et responsable de campagne forêt chez Greenpeace Afrique, évalue cette mesure comme juridiquement fragile. Dans une note d’analyse juridique publiée le 29 août 2025, elle observe que la circulaire tend à modifier de facto deux décrets : le n° 76/165 (27 avril 1976) portant conditions d’obtention des titres fonciers, et le n° 76‑166 (modifié en 2005) relatif au domaine national. Ainsi, en exerçant un pouvoir qu’il n’a pas, le Ministre fragilise les droits qu’il prétend renforcer, instaurant une procédure opaque, notamment en cas de lettre d’objection, où seul le Ministre déciderait de la suite à donner. La juriste alerte sur le risque de dérives (corruption, abus d’influence) dans ce vide juridique, et réclame une mise à niveau légale, via une loi ou un décret présidentiel, pour garantir la sécurité juridique et la transparence dans les processus d’attribution de concessions ou de titres fonciers.

Gouvernance foncière au Cameroun : avancée ou recul ?
Le Cameroun fait face à une crise silencieuse mais massive de déforestation. Entre 2001 et 2021, le pays a perdu 1,70 million d’hectares de forêt, soit en moyenne 80 000 ha par an. D’autres données établissent qu’entre 2001 et 2022, 1 843 000 ha de couvert arboré ont disparu, dont 564 300 ha dans la région du Centre. Plus récemment, une étude de Mighty Earth révèle une perte de 782 000 ha (4,2 % du couvert forestier) en seulement cinq ans depuis 2020, notamment liée à l’expansion des plantations de cacao. Selon Greenpeace Africa, de 2001 à 2022, 1,84 million d’hectares de couvert forestier ont été détruits, y compris 873 000 ha de forêts primaires, générant 1,09 milliard de tonnes de CO₂ équivalent. Ces chiffres soulignent l’urgence : les vastes concessions ou les attributions foncières non régulées contribuent fortement à cette déforestation, d’autant plus que les zones rurales (souvent soumises aux logiques coutumières et assistées d’un droit administratif flou) restent des cibles privilégiées pour l’accaparement des terres.
Boris Ngounou