À l’occasion de la journée mondiale de l’environnement qui se célèbre ce 5 juin 2025, Environnementales.com vous propose cette interview exclusive de Ursula Doriane Dountio Saha, une jeune entrepreneure camerounaise dans les énergies renouvelables en général et dans l’énergie de biomasse en particulier, et promotrice de «Paulownia-Tech» , une entreprise au sein de laquelle sont promus les Objectifs du développement durable (ODD). L’ingénieure en énergies renouvelables présente les actions qu’elle mène au quotidien pour soutenir le combat contre la pollution plastique notamment, et lance un appel à soutien pour le développement de l’entrepreneuriat vert au Cameroun.
Inès Magoum : Cette année, le thème retenu pour la journée mondiale de l’environnement est «Mettre fin à la pollution plastique mondiale ». Comment on accueille un thème comme celui-là, quand on est au quotidien sur tous les fronts pour l’erradication de ce fléau qu’est la pollution, en particulier plastique ?
Ursula Doriane DOUNTIO SAHA : Le thème est le bienvenu. C’est une très bonne chose vu l’augmentation des déchets plastiques dans la nature. Mais, il faut aussi noter que ce n’est pas la première fois qu’un thème sur la pollution plastique est retenu pour cette célébration. En 2018, le thème de la journée de l’environnement était «combattre la pollution plastique». En 2025, il est «Mettre fin à la pollution plastique mondiale ». Ces thèmes sont différents mais ont un même centre d’intérêt, tous contre la pollution plastique.
Donc là, il n’est plus question de s’attarder uniquement sur ce thème, mais sur les enjeux derrière ce thème. C’est à cette condition seulement qu’on pourra dire si le thème «Mettre fin à la pollution plastique mondiale» cette année sera véritablement porteur. Il s’agira de voir quelles sont les actions concrètes qui seront mises en place cette fois.
Vous vous investissez notamment dans l’éducation et la formation des communautés à la gestion durable des déchets. Des axes d’interventions qui constituent pour vous les bases de la lutte contre la pollution. S’agissant des déchets plastiques, quelles sont les solutions durables que vous suggérez à ces communautés ? Quels en sont les avantages ?
Déjà soyons clair. Nous ne pouvons pas nous passer du plastique. Le plastique nous permet d’avoir de très belles choses. Ceci étant dit, j’aimerais préciser qu’il y’a un type de plastiques vraiment précis qui est à l’origine de la pollution. Il s’agit des emballages plastiques à usage unique, qui sont ceux qu’on retrouve davantage dans la nature parce qu’il n’y a pas de preneurs sur le marché et pas d’industries de transformation de ces déchets plastiques là, contrairement aux autres types de plastiques.
Donc, le conseil que je donne aux communautés lors des campagnes de sensibilisation que nous menons, c’est de fuir les emballages plastiques à usage unique. Au Cameroun par exemple, le gouvernement s’est engagé à interdire l’utilisation de ce type de plastique au profit des emballages biodégradables. Malheureusement, cette loi, qui est pourtant connue de tous n’est pas respectée. Et ça, c’est un problème!

Et concernant les déchets plastiques qui sont déjà dans la nature, nous éduquons les communautés à leur gestion durable, notamment en leur donnant de la valeur. Je vais par exemple prendre le cas des pavés écologiques que nous fabriquons dans notre entreprise «Paulownia Tech».
Attardons nous sur la transformation des déchets plastiques en pavés écologiques justement. Parlez-nous davantage du prodécé de fabrication? Quel est la plus-value de ces pavés écologiques contrairement aux pavés traditionnels ?
Nous avons deux principales matières premières, des déchets plastiques et du sable fin. Une fois les plastiques usagés collectés et triés, nous passons à la fusion pour obtenir du liquide. Le liquide est ensuite mélangé au sable pour obtenir une matière homogène. L’étape suivante est celle du moulage.
«Paulownia Tech» ne stocke pas les pavés écologiques. La société fabrique plutôt les pavés à la demande et selon le goût du client. Nous sommes certains que nous contribuerons à réduire l’empreinte carbone. Déjà, lorsqu’on produit les pavés avec du plastique et du sable, on met de côté le béton qui inclu le ciment, qui lui même contient le clinker, dont l’extraction est très nocive pour l’environnement.
Les personnes qui connaissent le produit adhèrent. Mais, ils sont peu nombreux. C’est la raison pour laquelle avec mon équipe, nous participons aux foires et expositions pour présenter les pavés écologiques et parler de leurs avantages. Lorsqu’ils sont bien faits, ils sont beaux et plus résistants que les pavés traditionnels, pour un même coût. On a donc toutes les raisons de l’adopter.

À «Paulownia Tech», nous avons une application mobile qui nous permet de faire connaître nos produits, de faire des simulations, et au client, d’avoir une assurance sur la qualité de nos produits. De manière générale, le numérique est nécessaire pour l’optimisation de la production et la commercialisation de nos produits. Et là, il y’a un gain de temps.
Le plastique n’étant pas le seul déchet qu’on retrouve dans la nature, vous sensibiliez et oeuvrez également à la valorisation des résidus organiques, souvent négligés en charbon écologique notamment. Parlez-nous aussi du processus de fabrication de ce produit durable et de son impact environnemental
Le charbon écologique c’est un combustible comme le charbon de bois, à la différence que sa production ne nécessite pas la coupe des arbres, mais la transformation des déchets solides biodégradables et agricoles (pelures de plantain, pelures d’ananas, coques de noix de coco, la peau de maïs sec, etc.).
Les avantages : le charbon écologique est deux fois moins cher que le charbon de bois, pour un même pouvoir calorifique. Ce charbon fait à base de déchets a également une bonne durée de combustion. Par exemple, les personnes qui utilisent le charbon écologique pour rechauffer les poussins réussissent à le faire en huit heures de temps par jour. L’autre avantage est qu’il ne fume pas, contrairement au charbon de bois.

La production du charbon écologique contribue également à lutter contre la déforestation, responsable des émissions de gaz à effets de serre (GES) et de la perte la biodiversité. Au Cameroun, par exemple, la production du charbon de bois accroît chaque année la déforestation de 3%.
Et enfin, sur le plan de la santé, l’inhanalation de la fumée issue de la combustion du charbon traditionnel et du bois de chauffe est à l’origine de plus de 600 000 décès par an d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Quel est le processus de fabrication de ce charbon écologique ?
S’agissant du processus de fabrication, on va trier les déchets en se rassurant que ces déchets ne sont pas contaminés. Une fois triés, les déchets sont déshydratés. On passe ensuite à la pyrolyse (décomposition chimique d’une substance obtenue par chauffage intense en absence d’oxygène, Ndlr), puis au broyage et à l’homogénéisation pendant laquelle on ajoute un lian. Le lian que nous utilisons à «Paulownia Tech» c’est de l’amidon de manioc qui a un très bon pouvoir de liaison et est disponible. D’autres personnes peuvent utiliser de l’argile comme produit de liaison, c’est au choix.
Après l’homogénéisation, on passe au compactage, au moulage, au séchage et enfin au conditionnement dans le papier kraft.
Vous contribuez aussi à des actions concrètes renforçant l’intégration des énergies renouvelables (biogaz, solaire, etc.) dans le mix énergétique du Cameroun, bien sûr, en tenant compte des spécificités territoriales et des priorités en matière d’efficacité énergétique. Quelles sont ces actions ? Et selon vous, en quoi la transition vers les énergies propres peut contribuer à la préservation de l’environnement au Cameroun ?
Il est important de préciser qu’au Cameroun, les énergies renouvelables n’ont aucun problème. On a des sources renouvelables qui sont disponibles (le vent, le soleil, etc.). C’est l’accès à ces énergies qui est le problème. Nous produisons du biogaz et installons des panneaux solaires certes, mais à l’achat c’est vraiment coûteux pour les communautés. Donc, ce que nous sommes en train de faire c’est réflechir à une stratégie qui puisse aider les communautés à accéder à ces énergies propres là, parce qu’elles pourront les avoir en toute saison. J’en profite pour remercier le gouvernement camerounais qui travaille dans ce sens.
Sur le plan de la mobilité électrique par exemple, l’État camerounais a récemment réduit certains impôts, notamment sur les importations. Depuis janvier 2025 par exemple, les véhicules électriques sont exonérés du droit d’accises. Cette mesure qui concerne également les batteries et les bornes de recharge sera en vigueur sur une période de 24 mois, Ndlr.
Toutes les actions que vous menez font qu’aujourd’hui vous vous illustrez comme l’un des soldats du climat les plus engagés au Cameroun. Un engagement qui vous a valu de recevoir quelques prix. Parlez-nous de ces prix et des défis que vous avez dû relever pour y arriver.
C’est vrai que j’ai reçu plusieurs prix, mais je vais parler d’un seul prix. Il s’agit du prix de la reine de l’énergie que j’ai reçu en 2022 au Kenya. Il était question de mettre en valeur les personnes qui travaillent à la mise en place de solutions durables d’énergies renouvelables, et le jury du prix a été particulièrement séduit par mon projet de charbon écologique. Vous savez lorsqu’on parle d’énergie, beaucoup de personnes voient uniquement l’électricité alors qu’il y’a également l’énergie thermique.

Je ne sais pas par où commencer pour parler de challenges, parce que quand la passion est très grande on a l’impression de ne plus voir les obstacles. C’est vrai que le frein financier a toujours été là, mais la passion a toujours pris le dessus.
Quelles sont vos sources d’inspirations ?
Il y’en a plusieurs. Je vais premièrement parler de mon père qui a un attachement fou pour la nature. Bien que fonctionnaire, mon papa a pratiqué l’élevage et l’agriculture auxquels je me suis frottée. Donc, c’est vraiment depuis toute petite que ces activités me passionnent.
Et puis, entre 2018 et 2019, j’ai rencontré Thimotée Kagombé, le point focal changement climatique dans la ville d’Ebolowa, au sud du Cameroun, qui m’a aussi beaucoup inspiré et soutenu. J’ai assisté à une conférence où il parlait de changement climatique. À cette époque, je n’avais pas encore véritablement trouvé ma spécialisation. Et je suis sortie de là en me disant : « Je vais faire un master en Changement climatique». Là, j’étais déjà ingénieure en énergies renouvelables.
Quels sont les projets environnemntaux sur lesquels vous travaillez actuellement, pour quels objectifs ? Et en quoi le gouvernement peut-être un soutien pour vous en tant que jeune qui entreprend pour assurer un avenir plus vert au Cameroun ?
Les projets sur lesquels je travaille actuellement, c’est l’amélioration de ce que je viens de citer plus haut. Donc, on reste dans la production des énergies renouvelables et valorisation des déchets de manière générale (production du charbon écologique, des pavés écologiques…). J’aimerais désormais quitter du niveau traditionnel au niveau semi-industriel, voire industriel pour pouvoir mieux rentabiliser ce que mon équipe et moi faisons. Vous savez très bien que, en industrie, lorsqu’on produit en grande quantité, on dépense moins et on gagne plus.
J’ai eu le privilège de participer aux états généraux (sur la gestion des ressources en déchets urbains qui se sont tenus du 6 au 7 mai 2025 à Yaoundé, la capitale politique du Cameroun, Ndlr). Je suis convaincue que la concrétisation de tous les engagements pris par le gouvernement camerounais à ces importantes assisses donnera un coup d’accélération à la gestion des déchets dans notre pays. Car, à côté d’un besoin technique, il y’a un fort besoin en accompagnement financier.
Outre la construction d’un monde où la forêt est bien entretenu et les déchets valorisés, est-ce que avoir contribué à renforcer l’entrepreuneurait vert des jeunes constituera aussi une victoire pour vous ?
Former c’est déjà une bonne chose mais ce n’est pas suffisant. Donc, si à côté de la formation il y’a un accompagnement, vraiment ce sera parfait. C’est là qu’on pourra crier victoire. Parce que si on former des jeunes en entrepreneurait vert et qu’on ne les outille pas, il y’aura pas de réelles avancées.
Si moi je me dis, depuis 2019 je travailles, donc depuis six ans déjà, je crois que je devrais déjà avoir traversé le niveau traditionnel. En définitive, nous avons besoin d’un accompagnement financier afin de pouvoir prendre notre envol et contribuer véritablement à l’avenir vert souhaité par le Cameroun.
Des propos recueillis par Inès Magoum