Les inondations meurtrières de Yaoundé, les coulées de boue à Libreville et l’érosion des sols à Kigali ont un point commun : la disparition progressive des forêts urbaines. Alors que l’expansion des villes grignote sans relâche les derniers espaces boisés, les conséquences se font déjà sentir sur l’environnement et la qualité de vie des habitants. Témoignages, analyses et solutions pour stopper l’hémorragie.
« Tout ce quartier était épargné des inondations il y a dix ans, aujourd’hui, à chaque saison des pluies, nous avons les pieds dans l’eau ! », s’indigne Jacques Nzamba Ndezambou, habitant du quartier Boulevard Akayé, dans le deuxième arrondissement de Libreville. En novembre 2024, des pluies torrentielles ont submergé plusieurs quartiers de la capitale gabonaise, causant de nombreux dégâts matériels et le déguerpissement temporaire de centaines de personnes. « L’eau est arrivée brutalement et subitement, surgissant à la fois du sol et de la rivière. Nous n’avons même pas eu le temps de sauver quelques affaires. Personnellement, j’ai perdu mon congélateur, des livres, un matelas… Il était impossible de tout porter seul. L’inondation a atteint près d’un mètre de hauteur, c’était catastrophique. ».

Au Cameroun, le constat est tout aussi alarmant. Le 8 octobre 2023, 19h20 : une digue mal entretenue cède sur les flancs du Mont Mbankolo à Yaoundé, emportant tout sur son passage. Le bilan officiel fait état de 34 morts, des dizaines de maisons détruites et des pertes matérielles inestimables. Nlomo, un habitant des lieux, s’en souvient comme si c’était hier. « On a retrouvé certains corps à plus d’un kilomètre. Les eaux ont également emporté des réfrigérateurs, des bouteilles de gaz… Un spectacle apocalyptique ». Après des analyses approfondies, il s’avère que ce désastre, causé par une digue mal entretenue, aurait pu être évité. La destruction progressive de la forêt urbaine autour du Mont Mbankolo, est ainsi pointée du doigt.

Le drame de Mbankolo à Yaoundé, pourrait tout aussi se produire au Rwanda, où les montagnes de la capitale Kigali, sont affétées par le grignotage du couvert forestier. Ici, l’urbanisation accélérée menace des collines jadis couvertes d’arbres, augmentant l’instabilité des sols. Les collines de Jali, Kigali et Rebero, autrefois couvertes d’arbres, sont remplacées par des habitations, augmentant l’érosion et le ruissellement. « Chaque maison construite signifie des arbres abattus », explique Abias Maniragaba, expert en économie environnementale à l’Université Lay Adventists de Kigali (UNILAK).


Une disparition accélérée du couvert forestier urbain
Les données à la fois chiffrées et satellitaires, compilés et interprétés, Remcel Dumont Fopi Tazo, consultant SIG à World Resources Institute (WRI) Cameroon, laissent comprendre qu’une véritable guerre, entre béton et nature, se livre, dans les cités africaines. Yaoundé enregistre 41% du couvert végétal défriché durant les 22 dernières années. Tandis que Libreville au Gabon et Kigali au Rwanda, ont perdu respectivement 23% et 14% de leurs forêts urbaines, durant la même période, 2001 – 2023.
Les experts alertent sur les dangers
Les spécialistes s’accordent à dire que la disparition des forêts urbaines entraîne un effet domino désastreux. « Les arbres absorbent l’eau de pluie et stabilisent les sols. Quand ils disparaissent, l’eau ruisselle plus vite et provoque des inondations », explique le géographe camerounais Lionel Djibie Kaptchouan. De son côté, le chercheur rwandais Aimable Musoni rappelle que la végétation urbaine joue un rôle clé dans la régulation du climat local : « Sans arbres, les villes deviennent des îlots de chaleur, et cela impacte directement la santé des populations. ».

La disparition des forêts urbaines impacte aussi la qualité de l’air. « En 2023, Kigali a enregistré 471 171 cas de maladies respiratoires, soit 9 % des cas à l’échelle nationale », indique Emmanuel Sibomana du Rwanda Biomedical Centre. En 2012, plus de 2 200 décès dus à des maladies respiratoires ont été recensés, dont 22 % chez les enfants de moins de 5 ans. En 2019, ce chiffre est monté à 9 286 morts.
Quelles solutions pour inverser la tendance ?
Si la situation semble critique, des initiatives commencent à émerger. À Kigali, un programme ambitieux de reforestation urbaine a permis de récupérer plusieurs hectares de forêts perdues. En collaboration avec des organisations locales, le projet SUNCASA réhabilite des micro-bassins critiques dans le bassin hydrographique du fleuve Nyabarongo, grâce à l’agroforesterie, au boisement et au reboisement. En outre, des zones tampons végétalisées seront créées pour stabiliser les ravins et protéger les ménages à haut risque tout en maîtrisant l’empiètement.
Libreville expérimente depuis 2023 un projet de corridors écologiques pour reconnecter ses forêts restantes, que à Yaoundé, plusieurs associations militent pour l’application d’une loi interdisant la destruction des arbres urbains sans replantation compensatoire. À l’occasion de la Journée mondiale du climat, le 8 décembre 2024, l’Association pour les Actions Durables a organisé une activité de reboisement au lieu-dit Bois Saint-Anastasie, en partenariat avec la Communauté Urbaine de Yaoundé. Les membres de l’association, mobilisés pour l’événement, ont planté plusieurs arbres dans cette zone stratégique, dans l’espoir de contribuer à la régénération de l’écosystème local et à la réduction des effets de la déforestation.
Boris Ngounou et Michel Nkurunziza, avec le soutien du Pulitzer Center